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#Confinement | Le regard de Catherine Dolto

« La crise pour les enfants les plus fragiles est simplement terrible »

 

Le confinement généralisé, nécessaire à notre protection a durement touché notre société, nos organisations économiques et politiques. La crise COVID-19 frappe particulièrement les populations les plus fragiles. L’association Ma Chance Moi Aussi est engagée aux côtés des familles en difficulté dans les quartiers prioritaires. Pour elles, la crise sanitaire est un choc dans un quotidien déjà très difficile.

 

Catherine Dolto, Présidente d’honneur de Ma Chance Moi Aussi a participé aux côtés d’André Payerne, Président Fondateur de l’association, aux réflexions préalables à la construction du programme d’accompagnement des enfants et de leurs parents.

 

Dans ce contexte exceptionnel, Catherine Dolto a souhaité partager son regard sur la situation :

 

 

Comme tout événement qui brusquement vient changer le cours de la vie, cette crise sanitaire demande un effort d’adaptation, une énergie pour chacun. Nos repères, nos rythmes sont bousculés, notre vie sociale se réduit. Pour tous, la situation est anxiogène mais il est évident que les conséquences de ce bouleversement sont variables, selon les situations, les capacités, les âges.

 

Les enfants sont aujourd’hui les plus en danger puisqu’ils sont toujours dans le temps de leur construction identitaire. Bien sûr, il y a des enfants pour qui c’est formidable car ils ont un peu de place à la maison pour respirer, un extérieur, des parents relativement disponibles. Pour ces enfants, c’est avoir plein de temps avec papa et maman. Et pour leurs parents, le vécu est plutôt agréable. Mais c’est loin d’être le cas pour la majorité d’entre eux.

 

 

La crise pour les enfants les plus fragiles est simplement terrible

 

Les plus grandes victimes, ce sont les enfants qui vivent dans une relative précarité dans des familles anxieuses et en fragilité éducative. Pour eux, c’est la double peine. Vivre confiné dans des logements petits, à plusieurs, sans extérieur, c’est extrêmement difficile et cela génère des tensions. Un enfant a besoin de sortir, de bouger. Le simple fait d’être enfermé dans un appartement fait dysfonctionner un enfant.

 

Indirectement, un enfant porte les angoisses et les difficultés de ses parents. Dans ce contexte, il ne peut être mis à l’abri de l’anxiété parentale. Ce qui peut rassurer dans des situations difficiles, c’est la parole donnée par l’adulte d’un projet d’avenir rassurant. Or, une mère ou un père fragile, qui se sent mal, n’a pas cette capacité.

 

Quant à la continuité pédagogique pour ces enfants, cela me semble bien complexe. De façon générale, il est difficile de faire les devoirs avec les parents, ça crée des tensions parfois violentes. Alors, quand un enfant n’a pas un coin tranquille pour travailler, quand il n’est pas avec des adultes qui peuvent l’aider à comprendre, ce n’est vraiment pas simple.

 

Pourtant il est nécessaire de ne pas laisser en friche les capacités des enfants sur du trop long terme. Ils doivent garder l’habitude de réfléchir. Si chaque jour, ils peuvent parler, échanger avec quelqu’un d’extérieur à la famille, donner leur avis, commenter ce qui se passe autour d’eux, poser des questions, c’est le plus important. Les enfants ont de grandes capacités. Ils rattraperont après le retard accumulé s’ils sont accompagnés et si nous faisons l’effort nécessaire pour que les inégalités ne s’accroissent pas de façon trop dramatique.

 

Enfin pour les enfants, le monde social, les amis et les professeurs, sont aussi de grands soutiens. Ils sont des repères, des amarres essentielles. Pouvoir s’appuyer sur des adultes extérieurs, être rassuré par un rythme quotidien, c’est immensément précieux. Savoir qui va faire quoi, quand et comment, participe beaucoup à la sécurité affective d’un enfant qui s’inscrit à la fois dans l’espace et dans le temps. Cet étayage apporté par la famille, l’école et des associations comme Ma Chance Moi Aussi, dysfonctionne aujourd’hui. Les enfants sont alors privés des repères sur lesquels ils s’appuient. C’est pourtant très important de se sentir en paix intérieure pour se construire.

 

Dans cette situation, pour fuir une réalité trop dure, pour désamorcer des tensions, de nombreux enfants passent des heures sur les écrans, sur des jeux vidéo ou sur Internet où ils peuvent trouver des images violentes ou pornographiques qui sont pathogènes et potentiellement captivantes. Cela peut devenir une véritable toxicomanie. C’est l’un des grands dommages de la situation actuelle. Le cerveau, outil actif de l’intelligence est en roue libre et en friche. Les écrans sont un moyen facile de s’échapper, de fuir une réalité insupportable. Il y aura une désintoxication à faire, ce sera difficile. Il faudra proposer aux enfants des choses plus intéressantes et plus vivantes que ce qu’ils trouvent dans ces mondes parallèles qui les anesthésient.

 

 

Maintenir le lien pour sortir du huis clos

 

Je veux saluer l’engagement de tous les acteurs présents sur le territoire et leurs efforts pour maintenir un lien avec les plus fragiles.

 

Il est urgent de parler de « l’après » aux enfants, donner de l’espérance, un horizon. Les enfants ont besoin de gaieté. Il est nécessaire de dédramatiser le plus possible, leur dire que des solutions vont être trouvées, que dans le monde entier, il y a des gens qui cherchent et réfléchissent en équipe, mais sans les prendre pour des imbéciles ! Il faut être patient pour traverser une telle crise or la patience est tout sauf l’art des enfants. Le temps est très différent pour eux parce qu’ils n’ont pas les mêmes outils que les adultes pour envisager l’avenir. S’il est lourd, il faut les aider à sortir du huis clos familial par tous les moyens possibles : parler, écrire, faire des dessins, communiquer avec l’extérieur, avec des adultes référents, sécurisants, des copains.

 

Impliquons-les pour trouver les solutions pour aujourd’hui et pour demain. En les mettant en position créative, en leur demandant leur avis, nous leur donnons l’occasion de s’évader et de découvrir que penser c’est intéressant et même amusant. En leur demandant d’être rapporteur d’une discussion qu’ils devront raconter aux autres, on les aide à focaliser leur attention.

 

 

Un devoir nécessaire demain : redoubler d’attention pour ces enfants

 

Attendons-nous à des enfants qui présenteront une vraie détresse, une anxiété à la fois paralysante et éparpillante.

 

Il faudra prendre du temps pour célébrer le plaisir de se retrouver. Il faudra prendre du temps pour que chacun puisse raconter ce qu’il a vécu de bon ou d’éprouvant, pour que chacun puisse être écouté par les autres sans être ni jugé ni moqué. Comme les anciens combattants, les enfants auront besoin de raconter l’histoire de leur confinement. Il faudra aussi reprendre une discipline du vivre ensemble.

 

Et il faudra bouger ! Le mouvement met le cerveau en mouvement et réconcilie le corps et l’esprit. Il faudra utiliser ce qui remet sur terre, bouger ensemble, apprendre des mouvements aux autres, mimer pour raconter, imiter, danser… Nous ne pourrons pas reprendre comme si rien ne s’était passé.

 

 

L’optimisme comme seule possibilité

 

L’époque que l’espèce humaine traverse, ne nous permet pas le luxe du pessimisme. Nous avons mis à l’arrêt notre système face à un danger de mort immédiat. Il s’agit maintenant d’envisager le long terme. J’espère beaucoup de ce que les gens auront découvert de solidarité avec cette crise. J’espère que nous réussirons à faire vivre cette solidarité un peu comme une petite flamme à entretenir. Cette période nous questionne. Je crois que nous avons à affronter un basculement de même ampleur que celui opéré du paléolithique (chasseurs cueilleurs nomades) au néolithique (agriculteurs éleveurs sédentaires). Cela implique des changements de vie profonds, un renouvellement des schémas d’organisation familiale. Cela veut dire des pertes, qui seront sûrement compensées par des gains. Cela prendra du temps.

 

J’aime faire appel à de grands penseurs, ils guident nos réflexions et apportent un sage éclairage sur notre quotidien. René Dubos, un immense neurobiologiste français qui a fait une carrière fulgurante aux Etats-Unis et qui est un des pères de l’écologie, disait « les pessimistes ont presque toujours raison, les optimistes ont presque toujours tort mais ce sont eux qui font avancer le monde ». Il est fondamental aujourd’hui d’être optimiste, il nous faut combattre le pessimisme comme un ennemi intérieur car il démobilise. Il disait aussi qu’il faut penser globalement mais agir localement. Il est fondamental de ne pas se déconnecter du local. A ce titre, les acteurs présents sur les territoires doivent avoir toute leur place dans le monde de demain. Quels sont les problèmes concrets ? Comment répondre aux besoins ? On peut avoir de grandes et belles idées mais si on ne sait pas agir localement, on ne sert à rien. Il sera nécessaire, je crois, de penser de façon nouvelle et cela va beaucoup dépendre des pouvoirs publics, de leur façon d’être à l’écoute et de bouger.

 

Comme le disait Hannah Arendt « les crises deviennent dramatiques quand on les aborde avec des idées toutes faites ».

 

 

Catherine Dolto

 

 

 

 

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